Discours de la merditude volontaire

Publié le par M

D'un côté, il y avait la mère aimante qui voulait voir briller les étoiles dans les yeux de son enfant. Pour cela, notre société dite développée m'offrait tous les ingrédients pour construire une réalité factice qui essuierait d'un revers de main les marges qui la composent. Ces ingrédients, je les ai largement utilisés, mobilisés pour réussir à préserver son insouciance. Pas plus tard que ce week-end. Des vitrines du Printemps Boulevard Hausmann où les ridicules poupées miniatures représentant Karl Lagerfeld faisaient face aux stands de l'Armée du Salut et aux marrons que les dames sans sac Chanel faisaient chauffer jusqu'aux manèges féériques des Champs Elysées à proximité de la verrière du Grand Palais côtoyant elle-même un amoncellement de corps recouvert de duvet éclairé par des décorations de Noël dont la seule consommation d'énergie mensuelle suffirait à les faire vivre pendant un an, ces corps qui n'ont plus rien d'humains, la peau remplie des stigmates de l'exclusion définitive, en passant par la vue imprenable que, nous autres, avions et savourions en haut de la Tour Eiffel tout en sachant que ce toit de nuages était plein de fissures qui se nomment misère, ségrégationnisme, déchéance.

 

Les capitales sont toutes les mêmes devenues

Aux facettes d'un même miroir

Vêtues d'acier, vêtues de noir

Comme un lego mais sans mémoire (...)

 

D'un autre côté, il y a la militante en sommeil car elle ignore quelle est l'échelle où combattre pour que les trains qui, venant de Rouen et faisant gracieusement halte à Mantes-la-Jolie, cessent d'embarquer une population en lui renvoyant à la gueule qu'elle est en surnombre en la reléguant dans l'allée principale parce que ce train ne peut pas contenir toute la misère du monde. Je suis sensible aux trains, incarnation de l'imprévisible beauté comme du génocide. Inconnu, dans tous les cas de figure, est son nom. Inconnu est le juif parti en volutes au-dessus de Birkenau. La station Bir-Hakeim est l'emblème de cette construction paradoxale d'un monde qui assemble les confins de l'humanité qui s'appelle Vel d'Hiv avec la pureté de l'acte architectural. Inconnue est la rencontre qui se trouve au bout de ces rails sur lesquel on projette ses douleurs immémorielles comme son absolue quête d'une vérité, d'un amour dont on ne sait que trop qu'ils n'existeront jamais.

 

Je n'aime pas Paris et toutes ses villes-musées qui exacerbent le fossé entre les marges et le centre. Et pourtant j'y retourne avec constance pour nourrir mon insatiable faim de cette culture, idée de beauté, qui est une échappatoire à la merditude du quotidien. Paradoxe ? Sans aucun doute. Acceptable ? De moins en moins. L'âge peut-être. Le questionnement sur que dire à un enfant pour l'aider à se positionner dans ce monde sans souffrir de cette injustice qui en est le fondement. Je me souviens du Peuple d'en bas ou de l'Abîme décrit par Jack London au début du 19ème siècle, véritable travail journalistique autant que sociologique. Intemporel car la société telle qu'elle se construit rend l'analyse d'une cruelle actualité. Croissance effrénée, accumulation, concentration de la richesse...il ne faut pas être grand clerc pour se dire que les marges seront bientôt au centre de la réalité.  Quantitativement, elles le sont déjà. Et ce n'est malheureusement qu'une fois qu'elles ne pourront plus être baillonnées derrière des murs anti-bruit le long d'autoroutes menant à la civilisation, sans feux ni carrefours, que les discours politiques feront semblant de s'en préoccuper véritablement.

 

Aujourd'hui nos regards sont suspendus

Nous résidents de la République

Où le rose a des reflets bleus

Résidents résidents de la République

Des atomes fait ce que tu veux.

 

Il faudrait pouvoir refuser d'entrer dans cette danse imposée. Deux choix s'imposeraient : la destruction ou l'ignorance du système. Lutter contre ou fuir. Par nature, je fuirais dans un erémitisme parce quej'ai le sentiment que ce monde est au bout de son apprentissage si n'était ma fille dont je dois encore voir les yeux briller. Encore un peu. Combattre ? Certes mais comment ?  

 

Peut-être que la nuit le monde fait la trêve !

Et qu'aujourd'hui mon sourire fait grève.

 

Publié dans Société

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