L'aube

Publié le par M

L'amphi était bondé. On suivait le cours passionnant de Mme P. quand elle avait été interrompue par l'un des membres de la Direction de Science Po. Il avait descendu rapidement les travées jusqu'au pupitre. Il s'était adressé d'abord à Mme P. pour justifier sa venue. Mme P. lui avait laissé le micro dans un recueillement sincère. La tension de l'attente était palpable.

 

C'était le 8 janvier 1996 et François MITTERRAND venait de mourir.

 

L'amphi, jusque-là si consensuel, parfois même si apathique, reprenait paradoxalement vie à l'annonce du décès. Nous avions 20 ans et pensions en savoir déjà beaucoup sur la politique. Nous avions des idées arrêtées que certains énonçaient de manière péremptoire. Ce que nous ignorions encore c'était que nous ne savions rien de la vie.

 

A l'annonce, l'amphi s'est scindé en deux parties distinctes comme un hommage à cette nuit du 28 août 1789 où le vote sur le veto royal avait divisé de façon marquée et durable l'Assemblée nationale et la vie politique française. Certains se levèrent immédiatement pour honorer l'homme et marquer la minute de silence d'une solennité appuyée. Les autres restèrent assis, la tête baissée. Premier acte politique pour les uns, témoignage de respect pour les autres, nous étions responsables de notre choix. Se lever ou rester assis, que voulait-on donner à voir de façon forcément ostensible ? A quel camp se raccrochait-on ? Sans hésiter, je me suis levée dans un mélange de tristesse, de fierté et de colère. Cette décision n'était pas qu'un acte de militantisme. Le militantisme a-t-il seulement sa place  à l'heure où un corps est rendu à la terre ? Aujourd'hui, avec le recul, j'ai dans l'esprit que ce qui m'animait c'était alors la volonté de saluer les avancées sociales, l'espoir donné au début des années 80, le combat d'une vie pour la France...tout ce que j'avais lu et auquel je croyais à l'aube de mon engagement politique et citoyen. 

 

J'ignorais des choses mais si j'en avais eu connaissance, cela n'aurait en rien changé ma décision d'appartenir à ceux qui conservent le secret espoir de voir toujours prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers et de saluer tout homme qui oeuvre en ce sens.

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