La femme-bulle

Publié le par Mama Mia



Comment peut-on dans une même journée vivre des émotions si mêlées, des sentiments si contradictoires, des évènements tels qu'ils annulent tout ce qui les a précédés. Passer de la joie de rassurer son enfant face au monstre virtuel qui le guette à l'abattement extrême d'une soeur embourbée dans les friches d'une vie en devenir et dans des traumatismes fossilisés qui n'ont plus lieu d'être ni de lieu pour être ? Faire ensuite que la source de la tristesse soit la même que celle qui irrigue le nerf de la joie retrouvée après que les choses ont été dites, les liens rendus à leur évidence, les frères et soeurs venus en renfort tel un pack qui ferait de ses corps une forteresse pour faire reculer l'adversaire et l'appel qui apaise la tempête noyée dans un verre de l'amitié.

Pourquoi les sentiments sont-ils toujours hors sol jusqu'à s'écraser avant de reprendre de la hauteur ? Pourquoi s'abîmer à mettre des masques de gargouilles sur des visages amis ? Pour finalement se culpabiliser de ne pas avoir assez cru ? Pour ne pas risquer de prendre une flamme pour une luciole ? Pour tirer les conclusions de son manque de discernement et élever des forteresses face aux déferlantes fraternelles ?

Toutes ces questions resteront ce soir sans réponse mais avec des pistes creusées dans des dunes épaisses où la femme-bulle n'avait jamais pénétré. Comme une jungle que l'on dépèce branche après branche pour en atteindre le liquide amniotique, patiemment, et ne garder ainsi que l'essence de la nature, celle qui se construit à l'orée de l'inné avec des ajouts puisés à chaque intersection. Et l'on trace ainsi un calligramme au vertigineux relief fait de briques et de baroques ardoises où s'écrivent les contes et se dénouent les intrigues. Le choix existe, la liberté se construit dans sa conciliation avec nos héritages pour une concoction différente de l'original. Maturation, digestion, invention.   

Faut-il se réjouir de souffrir à proportion de l'amour que l'on a à prodiguer ? Est-ce humain de contenir autant d'amour sans savoir comment le prodiguer ? Est-ce filial d'accepter la détresse parce que la voie n'est pas tracée pour pouvoir supporter des peines plus lourdes que la porcelaine ? Est-ce fraternel de protéger jusqu'à réduire la capacité de réaction à néant ?

Ce soir, la plume s'envole parce que les membres ne suivent plus. La violence de l'enfant est maîtrisée par le parent enserrant, non pour éteindre le feu mais pour libérer l'esprit en emprisonnant la danse démantibulée de la mécanique organique. La parole tarie, cette frappe erratique est l'ultime médiateur pour jouer la mélodie du bonheur sur un clavier écrit en noir et blanc mais dont le mélange des lettres dessine un camaieu de gris du plus sombre au plus clair et retour, comme un ciel de printemps qui n'a pas encore choisi de verser dans le drame ou la comédie. Tissant sa toile en point de croix, la vie poursuit sa route, refusant de choisir entre rires et larmes, pour qu'aucun ne prenne le dessus. 
Mais faut-il que les deux se mélangent pour atténuer les passions ? En est-on seulement capable ? A chacun sa réponse. Sentiments exprimés dans tout leur excés, image d'une ligne courbatue allant du début à la fin, d'une rose des vents se fânant dans le tourbillon des pôles, d'un présent qui n'existe fatalement qu'au passé, d'une parole qui n'a de voix que dans la présence qui l'accompagne, de l'ici marié mais séparé de son ailleurs.

Est-il plus sage de se contenter de l'ici et maintenant ? En est-on seulement capableN'est-ce pas contre nature quand tout pousse à la transgression, à la découverte ininterrompue d'une vie qui ne rassasiera jamais, comme un fleuve qui emporte, déverse, prolonge la route en continu vers une intangible destination  sans que la mer ne soit jamais remplie ? Les cartes en main, nous cherchons la direction mais celle-ci n'existe que dans les multiples actes qui pavent nos vies. Hasard, coïncidence, destinée, finalement ce qui compte n'est-il pas de se persuader que le chemin s'écrit dans ces cris récurrents qui renvoie à l'entrée du né dans ce nouveau Monde. La violence de ce lointain souvenir nous poursuit à jamais dans ce syndrôme de la bulle éclatée.
 
Ce soir, le ciel s'est éclairci. La nuit des temps n'a pas percé le chapiteau abritant la saynète qui ne cesse d'étoffer le scénario sans jamais révéler le jeu des coulisses, ni celui des talentueux acteurs.

Mystère des airs. Désert mis en terre. Se taire.  

Publié dans Courant poétique

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